Ponctuaire de l'évolution de la Langue Française

  Ier. siècle avant J.C. à II e. s. après J.C.

 Le Latin classique -------> latin vulgaire ( sorte d'argot du latin)

 Ex.: 'caput' du latin classique est supplanté par 'testa'

                                                   

  │cabeza (castillan)   │tiesto
caput   testa  
  │cap (catalan)   │test

              

          Les soldats disaient 'testa' au lieu de 'caput'

 

Le latin vulgaire donnera 8 langues modernes:

       L'Espagnol, le Français, l'Italien, le Portugais, le Provençal, le Catalan, le Roumain, le Rhétoroman.

 

Dès le X e. siècle le roman se subdivise en dialectes:

    3 groupes:

a) Langue d'oïl

Le picard

Le francien  ---à Français actuel (Ile-de-France)

Le normand

Le poitevin

Le bourguignon

 

 

b) Langue d'oc

Provençal

Limousin

Gascon

Auvergnat

Languedocien

                                                  

c) Franco-Provençal  (Intermédiaire entre lang. d'oïl et lang d'oc)                      Le Dauphiné, la Suisse...

 

.L'Église dans le Concile de Tours (813) ordonne au clergé de prêcher en langue vulgaire.

 

.14-II-842  Les Serments de Strasbourg

.        881  La Séquence de Sainte Eulalie

.      1040  Vie de Saint Alexis (en dialecte normand)

.        987  Hugues-Capet, roi (il parle le francien). C'est le  premier roi qui ne sait pas parler le germanique.

 

 

Carte des langues ethniques de France

Repartition géographique des langues romanes d'après M. Tagliavini

(1) Le dernier représentant de cette langue(île de Veglia -vegliote-) s'est éteint vers 1900

Le catalan aurait un caractère intermédiaire entre le gallo-roman et l'ibéro-roman, mais avec des traits beaucoup plus proches du gallo-roman: l'occitan.

Si l'on l'examine exclusivement sous sa spécificité linguistique (sans tenir en compte son domaine géographique ou des considérations extra-scientifiques), il présente avec l'occitan  d'extraordinaires ressemblances.

 

Les Serments de Strasbourg (14 février 842)

Lorsque Charles le Chauve et Louis le Germanique, petit-fils de Charlemagne, conclurent, à Strasbourg, le 14 février 842, leur traité d'alliance contre leur frère Lothaire, les deux rois et leurs fidèles échangèrent des serments.

Charles, roi des Francs, prononça son serment en langue germanique. Louis, roi des Germains, prononça le sien en langage roman. Les fidèles de chacun des deux rois jurèrent dans leur propre langue.

                Serment de Louis le Germanique

Pro Deo amur et PRO christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon frade Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o QUID il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid NUNQUAM prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle IN DAMNO SIT. Por l'amour de Dieu et pour le commun salut du peuple chrétien et le nôtre, à partir de ce jour, je soutiendrai ce mien frère Charles et en aide et en chaque chose comme en droit on doit soutenir son frère, à condition qu'il fasse de même por moi, et avec Lothaire je ne prendrai jamais aucun accord qui, par ma volonté, soit au détriment de ce mien frère Charles.

 

               Serment des fidèles de Charles le Chauve.

Si Lodhuvigs sagrament, que son fradre Karlo jurat, conservat, et Karlus meos sendra de suo part non lo s. tanit, si io returnar non l'int pois, ne io ne neüls, cui eo returnar int pois, in nulla aiudha contra Ludhuwig nun li iu er.

Si Louis observe le serment qu'il jure à son frère Charles, et si Charles mon seigneur, de son côté, ne tient pas le sien, si je ne puis l'en détourner, ni moi, ni nul que j'en puisse détourner ne lui serons en aide aucune contre Louis.

 

 

        La Séquence de Sainte Eulalie (881)

Citée par saint Augustin, l'écrivain Prudence décrit son supplice en des termes légendaires. Eulalie avait treize ans quand elle fut condamnée à mourir brûlée sur un bûcher vers 304, ce qui en fait une des martyres les plus vénérées de la tradition espagnole. Le manuscrit de la cantilène est conservé dans la bibliothèque de Valenciennes.

Buona pulcella fut EULALIA,

Bel avret corps, bellezour ANIMA.

 

Voldrent la veintre li Deo inimi,

Voldrent la faire Diaule servir.

 

Elle nont eskoltet les mals conselliers,

Qu'elle Deo raneiet, chi maent sus en ciel,

 

Ne por or ned argent ne paramenz,

Por manatce regiel ne preiement.

 

Niule cose non la pouret omque pleier,

La polle sempre non amast lo Deo menestier.

 

E por o fut presentede Maximiien,

Chi REX eret a cels dis soure pagiens.

 

Il li enortet, dont lei nonque chielt,

Qued elle fuiet lo nom chrestiien.

 

Ell'ent aduret lo suon element,

Melz sostendreiet les empedementz

 

Qu'ell perdesse sa virginitet:

Por o's furet morte a grand honestet.

 

Enz enl fou la getterent, com arde tost;

Ell colpes non avret, poro no's coist.

 

A czo no's voldret concreidre li rex pagiens,

Ad une spede li roveret tolir lo chief.

 

La domnizelle cell kose non contredist,

Volt lo seule lazsier, si ruovet Krist.

 

In figure de colomb volat a ciel.

Tuit oram que por nos degnet preier,

 

Qued avuisset de nos CHRISTUS mercit

Post la mort et a lui nos laist venir

 

     Par souue CLEMENTIA.

(D'après le texte de R.L. Wagner)

Bonne pucelle fut Eulalie,

Bel avait le corps, plus belle l'âme.

 

Les ennemis de Dieu voulaient la vaincre,

Ils voulaient lui faire servir le Diable.

 

Elle n'écoute pas les mauvais conseillers,

[Demandant] qu'elle renie Dieu, qui règne au ciel là-haut

 

Ni pour or ni pour argent ni pour parures,

Ni pour menace royale ni prière.

 

Nulle chose ne put jamais la faire plier,

[Et faire] que la vierge n'aimât pas toujours le service de Dieu.

 

Pour cela elle fut présentée à Maximien,

Qui était roi en ce temps-là sur les païens.

 

Il lui prescrit, ce dont elle ne tient aucun compte

Qu'elle renonce au titre de chrétienne.

 

Elle en raidit son énergie,

Elle subirait les tourments plutôt

 

Que de perdre sa virginité:

C'est pourquoi elle mourut avec grand honneur.

 

Dans le feu ils la jetèrent, pour qu'elle brûlât vite.

Elle n'avait pas de faute, aussi elle ne brûla pas.

 

A cela ne voulut céder le roi païen,

Avec une épée il ordonna de lui couper la tête.

 

La jeune fille contre cela ne proteste pas.

Elle consent à quitter le monde, elle prie le Christ.

 

Sous la forme d'une colombe elle s'envole au ciel.

Tous, demandons que pour nous elle daigne prier,

 

Pour que de nous le Christ ait pitié

Après la mort, et nous laisse venir à lui

      Par sa clémence

 

 

 

 

 

 

 

 

Vie de Saint Alexis (vers 1040)

C'est la narration de la vie singulière d'un jeune noble Romain du IVe siècle. Il s'enfuit de la maison paternelle le soir de ses noces, pour aller vivre en ascète en un pays lointain. Une série de faits fortuits le ramènent malgré lui à Rome après dix-sept ans d'absence. Il est recueilli dans la maison paternelle où personne ne le reconnait; il y vit pendant dix-sept autres années sur un grabat sous l'escalier. Il meurt après avoir rédigé une "charte" révélant son identité. Alors son père, sa mère, son épouse déplorent leur aveuglement.

Les vers décasyllabiques, coupés 4-6 et groupés en strophes de cinq vers, que nous reproduisons sont en dialecte franco-normand. Le poème débute par une louange du temps passé:

Bons fut li secles al tens ancienur
Quer feit i ert e iustise & amur;
Si ert creance dunt or n'i at nul prut;
Tut est muez, perdud ad sa colur;
Ja mais n'iert tel cum fut as anceisurs.
Le monde était bon au temps des anciens,
Car il y avait foi et justice et amour;
Il y avait aussi confiance, dont maintenant il n'y  a plus guère;
Il y avait tout changé, a perdu sa couleur;
Il ne sera plus tel qu'il fut pour nos ancêtres
   

[Lamentations du père, de la mère et de l'épouse après la mort d'Alexis]

Quant ot li perdre ço que dit ad la cartre,
Ad ambes mains derunt sa blanche barbe:
"E! filz, dist-il, cum dolorus message!
Io atendi quet a mei repairasses
Par Deu merci que tum reconfortasses."
Quand le père apprend ce que disait la charte,
A deux mains il tiraille sa barbe blanche:
"Eh! fils, dit-il, quelle douloureuse nouvelle!
J'ai espéré que tu reviendrais vers moi
Pour me réconforter, par la grâce de Dieu."
   

 Après avoir fait à Alexis de somptueuses funérailles, le père, la mère et l'épouse continuèrent de vivre, unis dans le souvenir du saint; puis ils moururent, et la famille se reconstitua au ciel.

Sainz Alexis est el ciel senz dutance,
Ensemble ot Deu en la compaigne as ang(e)les,
Od la pulcela dunt se fist si estranges;
Or l'at od sei, ansemble sunt lur an(e)mes;
Ne vus sai dirre cum lur ledece est grande.
Saint Alexis est au ciel sans conteste,
Auprès de Dieu en la compagnie des anges,
Avec la vierge dont il se tint si éloigné;
Il l'a maintenant près de lui, ensemble sont leurs âmes:
Je ne sais pas vous dire combien leur joie est grande.
   

(La Vie de saint Alexis, publ. J.M. Meunier, Droz, 1933.)

L'ancien Français prendra forme à partir des premìeres années du 12e siècle: l'époque où se compose La chanson de Roland. De cette époque sont aussí les prenmiers poèmes en vers rimé qui sont parvenus jusqu'à nous, Voyage de saint Brendan et les oeuvres de Philippe de Thaon o de Thaun (vers 1119)

Au 13e Siècle le Français devient langue européenne. L'Italien Brunetto Latini compose une encyclopédie à Paris  Li livres dou Tresor en français "Et se aucuns demandoit por quoi cist livres est escriz en romans, selonc le langage des Francois, puisque nous somes Ytaliens, je diroie que ce est por .iv. raisons l'une, car nos somes en France ; et l'autre porce que la parleure est plus delitable et plus commune à toutes gens."

Aux 14-15e siècles le Français se remplit de mots et de tournures latines. Les cas sont suprimés au 14e siècle.

 

( François Villon, "Poésies Diverses" (XVe.siècle)

 

Ballade des Pendus. (L'épitaphe 1463)

Revenu à Paris en 1462, Villon est presque aussitôt emprisonné. À peine relâché, il est arrêté de nouveau en 1463, à la suite d'une rixe. Cette fois il est condamné à la pendaison. C'est alors qu'il compose cette fameuse ballade. En appel, la peine fut commuée en dix ans de bannissement; mais après 1463, on perd toute trace de Villon.

Freres humains qui après nous vivez,
N'ayey les cuers contre nous endurciz,
Car, se pitié de nous pouvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez cy attachez cinq, six:
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça devorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous vueille alsouldre!
 
Se freres vous clamons, pas n'en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas le sens rassiz;
Excusez nous, puis que sommes transsis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grace ne soit pour nous tarie,
Nous preservant de l'infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
 
La pluye nous a debuez et lavez,
Et le soleil dessechez et noirciz;
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d'oiseaulx que dez a couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
 
Prince Jhesus qui sur tous a maistrie,
Garde qu'enfer n'ait de nous seigneurie:
A luy n'ayons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n'a point de mocquerie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
 

Notes.- Il y a une pièce de temps: voici longtemps déjà.-   
        "transsis": Trépassés.- "ne nous harie": Tracasse,             

 tourmente (subj.).- "debuez": "Lessivés", trempés.-            

 "souldre": du latin 'solvere'; payer, acquitter
 
Quelques traces d'Étymologie Latine:
 
   "cor" > cuer (coeur) ; "pulverem" > pouldre; 
   "absolvere" > absouldre; "fulgura" > fouldre

 Le Testament (1461)

Villon compose son Testament à Meung-sur-Loire, dans la prison de l'évêque d'Orléans, Thibault d'Aussigny.

REGRETS

Je plains le temps de ma jeunesse
(Ouquel j'ay plus qu'autre gallé
Jusques a l'entrée de viellesse,
Qui son partement m'a celé.
Il ne s'en est à pié allé
N'a cheval: helas! comment don?
Soudainement s'en est vollé
Et ne m'a laissé quelque don.
 
Allé s'en est, et je demeure
Pauvre de sens et de savoir,
Triste, failly, plus noir que meure,
Qui n'ay ne cens, rente, n'avoir;
Des miens le moindre, je dis voir,
De me désavouer s'avance,
Oubliant naturel devoir
Par faute d'ung peu de chevance.
 .....................................................
Hé! Dieu, se j'eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle,
Et a bonnes meurs dedié,
J'eusse maison et couche molle,
Mais quoi! je fuyoie l'escolle
Comme fait le mauvais enfant;
En escripvant cette parolle
A peu que le cuer ne me fent.
 .....................................................
Où sont les gracieux gallans
Que je suivoye ou temps jadis,
Si bien chantans, si bien parlans,
Si plaisants en faiz et en dits?
Les aucuns sont morts et roidis,
D'eux n'est il plus rien maintenant:
Repos aient en paradis
Et Dieu sauve le remenant!
 
Et les autres sont devenus,
Dieu mercy! grans seigneurs et maistres;
Les autres mendient tout nus
Et pain ne voient qu'aux fenestres;
Les autres sont entrez en cloistres
De Celestins et de Chartreux,
Botez, houssez, com pescheurs d'oistres:
Voyez l'estat divers d'entre eux!
                    (François Villon)

 

Renaissance

Clément Marot,

Chant de Mai et de Vertu  (0-32)
 
         BALLADES    
 
Volontiers en ce mois ici
La terre mue et renouvelle;
Maints amoureux en font ainsi,
Sujets à faire amour nouvelle
Par légèreté de cervelle,
Ou pour être ailleurs plus contents;
Ma façon d'aimer n'est pas telle,
Mes amours durent en tout temps.
 
N'y a si belle dame aussi
De qui la beauté ne chancelle;
Par temps, maladie ou souci,
Laideur les tire en sa nacelle
Que servir sans fin je prétends;
Et pour ce qu'elle est toujours belle,
Mes amours durent en tout temps.
 
Celle dont je dis tout ceci,
C'est Vertu, la nymphe éternelle,
Qui au mont d'honneur éclairci
Tous les vrais amoureux appelle:
"Venez, amants, venez, dit-elle,
Venez à moi, je vous attends;
Venez, ce dit la jouvencelle,
Mes amours durent en tout temps."
 
         Envoi
 
Prince, fais amie immortelle,
Et à la bien aimer entends;
Lors pourras dire sans cautelle:
"Mes amours durent en tout temps."
 

 Du Bellay

Heureux qui comme Ulisse...
 
Heureux qui, comme Ulisse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge!
 
Quand reverrai-je, hélas! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage?
 
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux
Que des palais romains le front audacieux;
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,
 
Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.
 
                    Du Bellay, Regrets, XXXI

       

RONSARD

Quand je suis vingt ou trente mois
Sans retourner en Vendômois,
Plein de pensée vagabondes,
Plein d'un remords et d'un souci,
Aux rochers je me plains ainsi,
Aux bois, aux antres, et aux ondes:
 
"Rochers, bien que soyez âgés
De trois mille ans, vous ne changez
Jamais ni d'état ni de forme:
Mais toujours ma jeunesse fuit,
Et la vieillesse qui me suit
De jeune en vieillard me transforme.
 
"Bois, bien que perdiez tous les ans
En hiver vos cheveux mouvants,
L'an d'après qui se renouvelle
Renouvelle aussi votre chef:
Mais le mien ne peut derechef
Ravoir sa perruque nouvelle.
 
"Antres, je me suis vu chez vous
Avoir jadis verts les genoux,
Le corps habile, et la main bonne:
Mais ores j'ai le corps plus dur,
Et les genoux, que n'est le mur
Qui froidement vous environne.
 
"Ondes, sans fin vous promenez,
Et vous menez et ramenez
Vos flots d'un cours qui ne séjourne:
Et moi sans faire long séjour
Je m'en vais de nuit et de jour
Au lieu d'où plus on ne retourne".
 
Si est-ce que je ne voudrois
Avoir été ni roc ni bois,
Antre, ni onde, pour défendre
Mon corps contre l'âge emplumé
Car ainsi dur je n'eusse aimé
Toi qui m'as fait vieillir Cassandre.
                                    Odes, IV, 10

Comme un chevreuil, quand le printemps détruit
Du froid hiver la poignante gelée,
Pour mieux brouter la feuille emmiellée,
Hors de son bois avec l'aube s'enfuit;
 
Et seul, et sûr, loin de chiens et de bruit,
Or sur un mont, or dans une vallée,
Or près d'une onde à l'écart recélée,
Libre, folâtre où son pied le conduit;
 
De rets ne d'arc sa liberté n'a crainte,
Sinon alors que sa vie est atteinte
D'un trait meurtrier empourpré de son sang;
 
Ainsi j'allais, sans espoir de dommage,
Le jour qu'un oeil, sur l'avril de mon âge,
Tira d'un coup mille traits en mon flanc.
                  Amours de Cassandre, LIX 
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
 
Las! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir!
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!
 
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse:
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
                      Odes, I,17
 
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
 
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant:
"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle!"
 
Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
 
Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos:
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
 
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain:
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
                       Sonnets pour Hélène, II, XLIII