Façon de parler du:05/12/2003

DES MOTS ET DES FAUTES : bourré/bourrelé
(MFI) On peut être bourré de talent, de défauts ou de qualités, mais on ne peut être que bourrelé de remords. Les deux termes sont souvent confondus. Le premier vient de la bourre « étoffe grossière à longs poils » que l’on utilisait pour garnir ou remplir des objets : ainsi le bourrelier, qui s’occupait des harnachements des chevaux, avait-il pour tache de rembourrer les selles et autres harnais de cuir. L’idée de remplissage est demeurée dans nombre d’expressions populaires comme bourrer sa pipe (la remplir de tabac), être bourré (être ivre), bourrer le crâne (chercher à convaincre avec trop de mauvais arguments), se bourrer de quelque chose (livres, bonbons ou médicaments, etc.), ou encore bourrer quelqu’un de coups… C’est ce dernier sens qui a donné le bourreau, exécuteur des arrêts de justice, chargé de torturer les condamnés et, éventuellement, de les tuer. Si la torture est officiellement interdite, on a gardé le terme dans certaines expressions comme bourreau des cœurs pour désigner un séducteur, bourreau de travail pour un travailleur excessif, bourreau d’enfants pour ceux qui martyrisent leurs enfants (ou ceux des autres)… Bourreler qui signifiait « torturer, physiquement ou moralement » est un verbe ancien que l’on n’emploie plus qu’à la voix passive et au sens moral dans l’expression être bourrelé de remords.

A PROPOS DE : ordinateurs
(MFI) Les Américains ont, comme on le sait, inventé l’ordinateur, ou plus exactement le computer (de computare « calculer »). La première machine électronique, créée en 1946, répondait au doux surnom d’Eniac, pesait 30 tonnes et occupait 168 m2. En 1954, le directeur de la compagnie IBM s’adresse à un linguiste et latiniste de l’université pour trouver un nom français au nouveau modèle qu’il vient présenter à Paris. Jacques Perret lui répond : « Que diriez-vous d’ordinateur ? C’est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le (dictionnaire) Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l’ordre dans le monde. » En effet, ordinateur est un mot très ancien qui s’appliquait à celui qui règle, qui met en ordre, qui institue… au Christ, par exemple. Devenu rare au 19e siècle, il doit donc à un informaticien américain et à un professeur de la Sorbonne de retrouver une seconde jeunesse. Le mot est adopté sans difficulté dans un domaine où l’anglais l’emporte souvent et on le retrouve dans des mots composés, tels que micro-ordinateur, abrégé en micro, mais concurrencé par l’anglais PC (personal computer ou ordinateur personnel). Et si ce n’était plus Dieu qui réglait le monde, mais… les ordinateurs ?

AUTOUR D’UN MOT : nuages
(MFI) « J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! »Ainsi s’achève L’étranger, l’un des plus beaux poèmes en prose de Charles Baudelaire. Et n’est-il pas vrai que ces formations de vapeur d’eau, annonciatrices de pluies bienfaisantes ou de tempêtes foudroyantes, qui se déplacent loin au-dessus de nos têtes, ont toujours fait rêver les hommes ? Autrefois, on parlait des nues, du latin nubes « voile, obscurité, essaim », qui a également donné nébuleux (obscurci par les nuages, mais aussi au sens figuré « obscur, peu clair, inintelligible »), nuance (degré d’intensité d’une couleur) et nimbus (nuage gris foncé). Les nues n’ont survécu qu’en poésie ou dans quelques expressions comme porter quelqu’un aux nues (le louer excessivement) ou tomber des nues (être extrêmement surpris).
Le nuage, d’abord un ensemble de nues, en est venu à désigner chaque forme nuageuse individuelle. Depuis 1956, il existe une classification officielle de dix grands types de nuages (altocumulus, altostratus, cirro-cumulus, cirro-stratus, cirrus, cumulo-nimbus, cumulus, nimbo-stratus, strato-cumulus, stratus), en fonction de leur altitude, de leur volume et de leur forme. Mais le nuage peut aussi représenter une masse plus ou moins dense de différentes choses, comme un nuage de sauterelles, de fumée, de poussière ou encore un nuage de lait dans une tasse de thé… Si le ciel nuageuxs’oppose à un ciel clair et dégagé, de même une théorie nuageuse (ou fumeuse) se révélera vague et confuse. Au Canada, un nuage est une fine écharpe de laine qui protège du vent. Enfin, si vous êtes dans les nuages, c’est que quelque chose vous distrait ou vous préoccupe, vous êtes un éternel rêveur, comme l’étranger énigmatique de Baudelaire, un poète peut-être…


JEU DE MOTS : cherchez l’intrus...
(MFI) Question : Dans cette liste, quel est le seul mot qui ne soit pas féminin : Anagramme, omoplate, palabre, viscère, épigramme, algèbre ?

Réponse : Le viscère est un organe creux. le cœur, l’estomac, le foie, l’utérus sont des viscères.

Catherine Brousse

Façon de parler du:  15/10/2004

LES MOTS DU CORPS : cul

(MFI) Culus «derrière humain », était déjà populaire chez les Latins, mais ce n’est qu’à partir du 17e siècle que les dévots et les bigots en font un mot tabou, considéré par la bonne société catholique comme vulgaire et grossier. Bien des synonymes sont censés être plus présentables : arrière-train, croupe, derrière, fesse, postérieur, et même fondement ! Mais cul n’a jamais cessé d’être employé, tant dans des expressions allant du plus courant au plus incorrect (et nous devrons ici en censurer un grand nombre) que pour former des dérivés tout à fait acceptables et acceptés.
Sous l’Ancien Régime, la culotte était un vêtement du dessus descendant juste au-dessous du genou et porté exclusivement pas les nobles qui regardaient de haut les sans-culottes, ces hommes du peuple qui ne portaient, eux, que des pantalons. On sait ce que les seconds ont fait aux premiers : la guillotine a contribué à la disparition de la culotte aristocratique, mais le mot est resté dans des sens spécialisés tels que culotte de cheval, jupe-culotte, couche-culotte ou, plus communément, pour désigner un sous-vêtement, soit d’enfant soit de femme, encore que les petites culottes, de soie ou de satin, tendent aujourd’hui à être remplacées par les slips, strings, et autres anglicismes...
Le culot est le fond d’un objet, par exemple le fond d’une pipe. Une pipe qui a beaucoup servi est bien culottée ; par analogie, une personne culottée montre une assurance, une audace, qui frôle l’effronterie et le toupet : « Eh bien, il ne manque pas de culot, celui-là ! ». Citons encore quelques dérivés : acculer « pousser au fond », culbuter « renverser cul par-dessus tête », basculer et bousculer, reculer, etc.
Quant aux expressions populaires, elles sont légion : à trop hésiter, on reste parfois le cul entre deux chaises, on reçoit des coups de pied au cul sans toujours les mériter, surtout si on n’est qu’un pauvre cul-terreux, un paysan, à moins qu’on ne soit comme cul et chemise, très ami, avec quelque important protecteur qu’on aura bassement flatté en lui léchant le cul... et même si on en tombe sur le cul de surprise, ou si l’on en a plein le cul, c’est-à-dire ras-le-bol, il ne nous restera qu’à faire cul sec et finir nos verres d’un seul coup en criant, fort vulgairement : « Et mon cul, c’est du poulet ? », histoire de montrer sa dérision, une autre façon de dire à ses ennemis, réels ou imaginaires : « Parle à mon cul, ma tête est malade »...


LES MOTS VOYAGEURS : girouette

(MFI) La girouette est cette plaque de métal découpé qui, placé au sommet des édifices, tourne autour d’un axe vertical et indique par son orientation la direction du vent. Elle peut prendre diverses formes, les plus courantes étant la flèche et, en France, le coq. En ancien scandinave, la girouette se disait vedrviti et ce mot serait arrivé jusqu’à nous par l’intermédiaire du normand wirewite. Mais le mot a évolué sous la double influence du latin girare « tourner » et de la pirouette qui désignait autrefois une toupie. Bref, la girouette tourne avec le vent et c’est pour cela qu’au sens figuré, elle en est venue à désigner une personne versatile qui change facilement d’avis, surtout en politique : « On ne peut pas lui faire confiance, c’est une vraie girouette » ou, au Québec, un vire-capot, bref, quelqu’un qui « vire son pantalon », comme disent les Réunionnais...


AUTOUR D’UN MOT : vaccin

(MFI) En latin médical, la variole de la vache était appelée variola vaccina de vacca « vache ». Cette maladie touchait un grand nombre de personne, mais à la fin du 18e siècle, un pasteur protestant, constata que les fermiers qui trayaient les vaches malades n’étaient pas contaminés ; il en parla autour de lui et un certain docteur Pugh de Londres commence à expérimenter la chose. La première vaccination eut lieu en Angleterre en 1796 sur un enfant de huit ans. La méthode fut importée en France en 1806 et cinq ans plus tard, deux millions et demi de Français étaient vaccinés. Au début, on appela cela la vaccine, comme la maladie que l’on inoculait au patient pour l’immuniser. Mais le principe devait rapidement se généraliser, d’abord avec la rage dont Pasteur essaya le premier vaccin en 1885, puis avec le fièvre typhoïde et le choléra. Aussi garda-t-on le mot vaccin pour désigner toute substance préparée à partir de microbes, virus ou parasites, qui, par inoculation, permettent l’immunisation contre le germe correspondant.
De nombreuses campagnes de vaccination ont fortement contribué au recul de grandes maladies, particulièrement les six principales maladies infantiles, rougeole, diphtérie, coqueluche, tétanos, poliomyélite et tuberculose. Contre cette dernière, le B.C.G. doit son nom à ses inventeurs, Billié de Calmette et Guérin. La vaccination, fortement recommandée, obligatoire dans certains pays, a aussi de farouches adversaires qui lui opposent des raisons soit scientifiques soit religieuses. Cependant, elle sauverait, selon l’Office mondial de la santé (OMS), trois millions de vies par an. Le vaccin fait désormais partie intégrante de nos vies quotidiennes et du langage courant : « Il est majeur et vacciné », il est assez grand pour prendre ses propres décisions et assumer ses responsabilités. On disait aussi des bavards impénitents qu’ils étaient « vaccinés avec une aiguille de phono », mais la formule a disparu en même temps que les platines et on a changé de disque...
Sommes-nous si loin de la vache à qui nous devons ce mot essentiel ? C’est à voir. « Tu as entendu comment il te parle ? » « Ne t’inquiète pas, je suis vaccinée », l’expression populaire montre bien que l’exposition répétée... aux « vacheries », de la vie ou des gens, finit par conférer une certaine immunité...

JEU DE MOTS : stellionataire

(MFI) Question : Savez-vous ce qu’est un stellionataire ?

1. Un lézard aux couleurs changeantes ?
2. Un escroc qui vend un bien dont il n’est pas propriétaire ?
3. Un collectionneur d’étoiles de mer ?

Réponse : La réponse 2 est la bonne. Le stellionataire est celui qui se rend coupable de stellionat en vendant un immeuble qui ne lui appartient pas en titre ou en le présentant comme libre alors qu’il est hypothéqué. Le mot vient du nom que les Romains donnaient à un lézard aux couleurs changeantes et, en latin populaire, le stellio désignait aussi bien le caméléon que le fourbe.

Catherine Brousse